INCOUTOURNABLE RUTEBEUF LORSQUE J'AI LE BLUE!!
RUTEBEUF (1230/1280) Commentaire de Maurice Toesca PAUVRE RUTEBEUF L’on ne saura où je demeure Trop pauvre suis ! Point ne sera ma porte ouverte Car ma maison est trop déserte Et pauvre et nue ! Souvent n’y a ni pain ni pâte Ne me blâmez si je n’ai hâte D’aller chez moi ! Car je n’y aurai bel accueil L’on ne m’a pas pour bienvenu Si je n’apporte C’est ce qui plus me déconforte Que je n’ose entrer en ma porte A vides mains ! Vous savez comment est ma vie L’espérance du lendemain Ce sont mes fêtes ! LA REPENTANCE DE RUTEBEUF J’ai tant fait que plus je ne puis Aussi me faut tenir en paix ! Dieu veuille que ne soit trop tard ! Tous les jours, j’ai accru mon faix, Et chacun dit, clerc ou laïque « Plus le feu couve, plus il brûle » Et pour ce siècle qui s’achève M’en convient partir d’autre pas Nul n’y peut rien, je l’abandonne ! Que sont mes amis devenus Avec le temps qu'arbre défeuille Que sont mes amis devenus Pauvre sens et pauvre mémoire
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L'amour est morte
Ce sont amis que vent me porte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta
Quand il ne reste en branche feuille
Qui n'aille à terre
Avec pauvreté qui m'atterre
Qui de partout me fait la guerre
Au temps d'hiver
Ne convient pas que vous raconte
Comment je me suis mis à honte
En quelle manière
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L'amour est morte
Le mal ne sait pas seul venir
Tout ce qui m'était à venir
M'est advenu
M'a Dieu donné, le roi de gloire
Et pauvre rente
Et droit au cul quand bise vente
Le vent me vient, le vent m'évente
L'amour est morte
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta
Nous ne savons pas avec précision à quelle date est né Rutebeuf,vers 1230, sans doute.Il aurait vécu une cinquantaine d’années, principalement à Paris.Son œuvre nous donne les seuls vrais renseignements dont nous puissions faire état.Il a vécu en bohème, faisant les métiers les plus divers, depuis celui de jongleur jusqu’à celui de scribe et d’auteur dramatique.Où a t-il étudié ? Mystère, mais nous sommes obligés de conclure qu’il a acquis une culture très étendue, puisqu’il évoque en effet, Platon et Averroès, le plus grand érudit arabe de Cordoue, à qui nous devons la transmission de l’œuvre d’Aristote.
Joueur, au sens propre du terme, c’est-à-dire joueur de dés exactement.Rutebeuf, bien avant l’heure de l’imprimerie, a su tirer de la langue française les accents les plus durables : deux siècles après lui, vers 1430, nous retrouvons un écho de sa poésie chez Villon, et, cinq siècles plus tard, chez Apollinaire.Sa confession a conservé l’accent d’une découverte essentielle de la nature humaine.La preuve en est dans le fait que des chansonniers du XXème siècle ont pu lui emprunter directement ses paroles, sans rien changer.Nous pensons à l’exploitation musicale d’un Léo Ferré, qui a répandu dans le monde entier cette poésie conçue au temps des croisades.« La Complainte de Rutebeuf »! Rutebeuf est donc l’un des premiers écrivains français.Grâce à notre langue, il a pu traduire pour tous les humains le rôle de l’espérance dans la vie.Et grâce à Rutebeuf, la littérature française s’inscrit à jamais au tableau des civilisations dont l’humanité s’enorgueillit!